ANTONIN BROCARD - LE "PATRON" DES CIGOGNES

Par : Corinne MICELLI

Portrait
Antonin Brocard - Le patron des Cigognes en 1917.

« Le véritable aviateur est né aviateur. Les fées qui président aux naissances distribuent de leur baguette mystérieuse les qualités et défauts dont sera fait le sinueux chemin de la vie. […] C’est ainsi que sont nés les aviateurs amoureux de l’indépendance, de l’art, de la fantaisie comme les poètes, insouciants du danger comme les soldats. Ils ont trouvé dans leur berceau les dons instinctifs du cœur, la puissance de confiance et d’imagination qui leur ont donné leurs ailes. »

Ainsi parlait Antonin Brocard, poète à ses heures et commandant le groupe de combat « Cigognes », célèbre par ses exploits au cours de la Grande Guerre. Né le 14 novembre 1885 à Biol en Isère, ce fils d’instituteur grandit sur les terres froides du Dauphiné et développe très tôt un goût prononcé pour tout ce qui vole. Doté d’une robuste constitution physique, il gravit les montagnes avec aisance, joignant le plaisir des ascensions à une autre passion qu’il découvre entre deux foulées : la chasse. Il acquiert très vite une justesse de coup d’œil et cette précision de tir qui, plus tard, le serviront dans une chasse infiniment plus dangereuse que celle du chamois ou du coq de bruyère. Ses activités ne le détournent pas des études sérieuses auxquelles l’incitent ses parents. Ceux-ci ont obtenu une bourse pour qu’Antonin puisse préparer Saint-Cyr. Pour ce garçon attaché au terroir, marqué par les caractères de cette race forte des « brûleurs de loups », aucun métier n’est plus beau que celui des armes, un métier qui lui permettra de défendre, éventuellement, cette terre qu’il aime tant. Il intègre la fameuse école en octobre 1905 et en sort le 17 août 1907, au rang respectable de 81e sur 277 élèves classés. Les notes du capitaine de l’école mentionnent une conduite parfaite, une belle tenue, une intelligence très vive, un caractère sérieux et énergique, ainsi qu’un zèle inlassable. L’appréciation globale du général commandant l’école résume toutes les qualités de l’élève Brocard qui laissent présager une belle carrière militaire. Le sous-lieutenant est alors affecté au 30e régiment d’infanterie d’Annecy. Une aubaine pour cet alpiniste intrépide ! À l’époque, l’aviation naissante laisse entrevoir de belles perspectives pour ce montagnard qui aspire aux larges espaces. Brocard s’y intéresse de près et n’a bientôt plus qu’une obsession : voler. En octobre 1911, il passe au 144e régiment d’infanterie puis est détaché dans l’aéronautique, à l’école d’aviation de Pau. Il obtient son brevet d’aviateur en juillet 1912, puis est désigné comme moniteur à Reims. Il se consacre à la formation de ses élèves sans pour autant négliger son propre entraînement. En 1913, il bat deux records d’altitude à bord d’un Deperdussin puis accomplit le premier Tour de France aérien.

Le 1er août 1914, alors que la guerre éclate en Europe, il est affecté à la D6, une escadrille de reconnaissance stationnée à Mézières. Son sang-froid, son audace et ses qualités de chef lui valent d’être cité à l’ordre de l’armée et d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur le 3 décembre 1914. La première victoire aérienne de Frantz et Quénault bouleverse rapidement les missions dévolues à l’aéronautique. Désormais, l’avion sert à reconnaître et à chasser. Promu au grade de capitaine le 21 mars 1915, Antonin Brocard prend le commandement de l’escadrille 3, dotée de Morane-Saulnier. Sous ses ordres, la MS3 se distingue par ses reconnaissances à longue distance, ses missions photographiques ou ses barrages sur les lignes pour empêcher toute incursion ennemie sur les tranchées. Lorsque les Nieuport remplace les Morane-Saulnier, le jeune capitaine organise la N3 pour la spécialiser dans la chasse. Il choisit ses pilotes selon des critères très sélectifs et apporte un soin tout particulier à leur entraînement intensif, sans cesse amélioré en fonction des enseignements recueillis au cours des combats journaliers. Le 3 juillet 1915, Brocard obtient sa première victoire en abattant un Albatros. Le 28 août , il réitère son exploit en attaquant, au-dessus de la forêt d’Hallatte, le premier avion venu bombarder Paris.

La N3 prend part aux attaques de Frise dans la Somme puis se lance dans la grande bataille de Verdun où elle enregistre ses premiers succès. En quelques semaines, elle voit ses meilleurs pilotes disparaître. Brocard lui-même est victime de plusieurs accidents. Le 19 mars 1916, il est grièvement blessé en combat aérien. Malgré une mâchoire fracassée, il parvient à abattre un des trois LVG. Mais, fidèle à ses hommes et dévoué à sa Patrie , il met rapidement un terme à son hospitalisation, malgré l’avis des médecins.

L’offensive de la Somme se prépare et les concentrations massives d’appareils qu’elle provoque indiquent qu’un rôle important est dévolu à la chasse française. La N3, que l’on surnomme désormais « l’escadrille des Cigognes », renforcée en pilotes et en matériels, remporte de multiples victoires. Le 10 juin 1916, la création du groupe de combat n° 12 est officialisée. La 3 constitue le noyau du groupe composé des escadrilles 26, 73 et 103. Dans l’organisation de cette unité, la première ainsi constituée, Brocard affirme ses qualités de chef et d’animateur. Il décide tout d’abord de faire peindre sur le fuselage des appareils l’emblème de l’échassier, qui réunit sous ses ailes l’ensemble du personnel. Au sein de ce groupe, il va faire preuve d’un bon sens et d’une sagesse qui surprennent, tant son tempérament est ardent au combat. Il lui faut désormais consacrer tout son temps, tous ses efforts à cette troupe de jeunes pilotes, pas toujours très dociles. Avec la grande affection qu’il témoigne à « ses enfants », il obtient d’eux, non seulement le mépris de la mort mais encore une inébranlable confiance dans la victoire. Pour eux, il remplace le père absent, à la fois affectueux et énergique. Brocard enseigne, conseille, réconforte et maintient leur moral, indispensable pour livrer plusieurs fois par jour des combats. Il s’efforce de créer une atmosphère d’apaisement et de sécurité où ses Cigognes dont il est devenu le « patron » pourront oublier la lutte passée sans songer à la prochaine.« Ils représentaient toutes mes joies, mes tristesses, mes espoirs et mes affections », dira-t-il à la fin des hostilités. Bien que les pertes soient lourdes, les pilotes enregistrent des victoires sur les avions et les Drachens ennemis. En trois mois, d’août à novembre 1916, la 3 figure au premier rang des escadrilles de chasse. À elle seule, elle enregistre par jour jusqu’à 15 combats avec une moyenne de cinq avions ennemis abattus. Entre temps, Antonin Brocard a été promu commandant et les appréciations de ses supérieurs sont dithyrambiques. « Officier d’élite, ayant un très haut sens du devoir et joignant à une habileté professionnelle hors de pair les plus rares qualités d’audace et de sang-froid. Par son exemple, a fait de l’escadrille et du groupe de combat placés successivement sous ses ordres des unités d’élite qui se sont rendues redoutables à l’ennemi et ont contribué pour une large part aux succès des opérations de la Somme par la chasse ardente et sans répit qu’elles ont mené contre l’avion adverse. Une blessure, cinq citations. »

À Verdun, sur la Somme, dans les Flandres, le groupe de combat 12 multiplie les exploits, les victoires et fait l’honneur des communiqués officiels. Le haut commandement sait pouvoir compter sur Brocard. Tapis dans leurs tranchées, les fantassins ne s’y trompent plus. Tout comme l’arrivée des hirondelles signifie le début du printemps, l’irruption des Cigognes dans un secteur fait présager la bataille et la victoire.

Une fois l’armistice signé et après une année d’occupation en Allemagne, le commandant Brocard ramène ses Cigognes à Strasbourg, leur terrain d’élection. Soixante-dix d’entre elles manquent à l’appel, mais leur sacrifice et leurs exploits ont fait que le grand oiseau blanc, qui niche sur les tours de la cathédrale, est devenu aux yeux du monde entier le symbole de la bravoure et de l’héroïsme.

Encadré 1 :

Citations, décorations et médailles

Chevalier de la Légion d’honneur le 3 décembre 1914
Officier de la Légion d’honneur le 18 février 1917
Commandant de la Légion d’honneur le 10 juillet 1927
Croix de Guerre 14-18 avec sept palmes

Encadré 2 :

Compréhensif mais intransigeant :

Avions abattus dans nos lignes.
Interdiction formelle aux pilotes d’atterrir auprès d’un avion abattu dans nos lignes. Au maximum, autorisation d’atterrir à l’aérodrome le plus voisin. Au risque de commettre une injustice, le commandant n’homologuera pas l’avion des pilotes qui auront atterri près du boche, risquant de détruire leur appareil et témoignant ainsi envers leurs camarades de combat d’une méfiance exagérée. De plus, cette façon de faire peut sembler témoigner d’une ignorance du véritable but à atteindre, qui est de descendre le boche, pour tuer du boche, et non de s’attribuer à soi-même plus ou moins de succès. Seuls ont droit à la grande part de reconnaissance et de gloire ceux qui ont donné tout ou partie de leur vie. Les autres montrent seulement par ce qu’ils ont fait, qu’ils pourront encore faire davantage, car il reste davantage à faire. Signé Brocard (Extrait de la décision du 28 mai 1917)

-

Galerie photo...