GUYNEMER, L’ENFANT AU REGARD D’AIGLE

Par : Corinne MICELLI

L’ange de la Mort !
Celui qui reste dans l’esprit des Français comme l’As des As de l’aviation militaire française...
Garçon frêle et maladif, Georges Guynemer avait le feu sacré pour l’aviation. Pourtant, ce n’est pas sa faiblesse de constitution physique qui l’empêcha de devenir, par une volonté de fer et une foi inébranlable en la patrie, un guerrier redoutable au regard d’acier. Pilote de combat agressif, habile et audacieux, le premier as de guerre aux 53 victoires était aussi un oiseau de proie. Histoire d’une légende entrée dans les traditions de l’armée de l’air.
Texte : Corinne Micelli

« Oui, je veux être aviateur. Je vous confie un secret : un matin, dans la cour du collège, j’ai vu un avion voler. J’ai ressenti une émotion profonde et je me sis dit : c’est mon destin ! » Voilà ce que répond Georges Guynemer à son père lorsque ce dernier lui demande un jour de juillet 1914 : « T’es-tu décidé pour quelque chose ? » Le père est stupéfait car son fiston est de santé fragile depuis sa naissance en décembre 1894. Les maladies qui ont jalonné sa jeunesse et perturbé ses études lui ont forgé une silhouette d’adolescent étriquée. À 20 ans, Guynemer mesure 1,73 mètres pour 48 kilos. Le jeune homme, contraint à l’oisiveté depuis sa dernière maladie rage de ne pouvoir rien entreprendre.

Pendant ce temps, le Kaiser Guillaume II vient de déclarer la guerre à la Russie. Le gouvernement français, allié à celui de Saint-Pétersbourg, ordonne la mobilisation générale. En cet après-midi du 1er août 1914, tous les tocsins de France propagent leur glas sinistre dans les villes et les campagnes. Tous les clochers tintent sauf ceux d’Alsace et de Lorraine. Car, depuis la terrible défaite de Sedan en 1870, les deux régions sont soumises au joug des Prussiens. Ce glas résonne aux oreilles de Georges comme la voix du destin. La sauvegarde de la terre de France et de ses valeurs est une loi sacrée. Triomphant, Guynemer annonce à sa famille qu’il va s’engager dans l’armée comme beaucoup d’autres garçons de son âge que la perspective de bouter l’ennemi hors de France exalte. L’idée de la mort ne l’effraie pas. Héroïque il part, héros, il reviendra.

Son père, ancien officier de Saint-Cyr, lui a inculqué dès sa plus tendre enfance le sens de l’honneur et du devoir. Il considère la décision de Georges comme un superbe élan patriotique. Hélas, l’infanterie puis la cavalerie le rejettent en raison de son aspect maladif. Qu’à cela ne tienne ! À force d’obstination, il parvient à entrer dans l’aviation et commence son entraînement comme élève-mécanicien à l’école de Pau. Il sollicite le ministre de la Guerre peu avant Noël pour être admis dans le personnel navigant. Deux mois plus tard, il fait son premier bond sur un Blériot six cylindres 50 HP et reçoit l’agrément de sa demande de pilote. Son premier vol en altitude date du 10 mars 1915. Guynemer jubile et n’a plus qu’un désir ardent qu’il cultive depuis qu’il est enfant : se battre.

Le soldat Guynemer obtient son brevet de pilote sur Blériot le 26 avril. Nommé caporal pilote, il se voit confier un Morane 50 ch, appareil plus léger et plus délicat à piloter que le Blériot. Mais le vol se termine par un capotage au milieu des marécages. Cette aventure, dont seul l’homme sort indemne, lui vaut de sérieuses réprimandes de la part de ses supérieurs. Guynemer rejoint l’école d’Avord afin de se perfectionner sur Morane Parasol et Nieuport 80 ch. Il en part le 5 juin au grand soulagement de la hiérarchie. « Ouf ! le gringalet ne s’est pas tué, et surtout, il n’a tué personne… » Une nouvelle affectation le conduit à Vauciennes dans l’Aisne où est basée la Morane Saulnier 3, l’escadrille déjà légendaire des Cigognes. Elle est dotée de Morane Parasol équipés d’un moteur Gnome-Rhône de 80 HP. Dès le premier vol, il casse l’avion. Puis un deuxième. D’emblée, il déplaît à son chef d’escadrille, le capitaine Antonin Brocard, qui fulmine contre ce « bouzilleur de zinc ».

Heureusement pour Guynmer, l’adjudant Jules Védrines prend sous son aile l’impétueux caporal. Védrines, que ses camarades surnomment « Julot » possède l’instinct de l’oiseau. Il établira un exploit inégalé en atterrissant quelques années plus tard sur le toit des Galeries Lafayette à Paris. Pour l’heure, il conseille Guynemer, lui apprend le métier et parvient à tempérer les emportements de l’élève qui ronge son frein, piétine, s’impatiente de ne pouvoir voler à son gré. Les leçons portent leurs fruits. Guynemer s’envole enfin avec son mécanicien Charles Guerder le 19 juillet 1915, rencontre un Aviatik allemand, l’attaque au-dessus de Soissons et le descend en flammes. C’est le 8e avion allemand abattu depuis le début du conflit. Cette victoire arrive à temps pour Guynemer car Brocard veut se débarrasser de lui.

Le lendemain, Georges est nommé sergent, le surlendemain cité et décoré de la Croix de guerre et de la Médaille militaire. À bord d’un Nieuport X, Guynemer descend son deuxième avion à l’ouest de Chauny dans l’Aisne. Le jour même de ses 21 ans, le 24 décembre 1915, le sergent est élevé au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Il compte déjà quatre victoires homologuées. Promu sous-lieutenant le 4 mars 1916, il part avec la N3 pour Verdun où l’aviation allemande maîtrise le ciel depuis l’attaque de février. Après plusieurs combats acharnés, l’escadrille fortement éprouvée rejoint le capitaine Brocard à Breuil-le-Sec dans l’Oise, le temps de se reconstituer. Les arrivées du lieutenant Mathieu Tenant de la Tour, du lieutenant Alfred Heurtaux et de l’adjudant René Dorme renforcent l’escadrille qui a été transférée à Cachy dans la Somme. Aux Cigognes de Brocard, s’opposent les Tangos de Richthofen (appelé le Baron rouge) et les Damiers de Goering. De part et d’autre, on se hait et on s’estime, on se défie et on s’admire.

Les Nieuport sont remplacés par les Spad conçus par Louis Béchereau. Guynemer reçoit le Spad VII le 27 août qu’il baptise comme ses autres appareils « le vieux Charles ». À son bord, il s’exerce à de nombreuses acrobaties aériennes. « Je passe ma journée dans mon taxi et je voudrais passer mon temps à le retourner dans tous les sens », écrit-il à Béchereau, enthousiaste. Le sous-lieutenant se lie bientôt d’amitié avec le constructeur. Entre deux visites dans ses ateliers, il suggère d’apporter quelques améliorations. Il confie à l’ingénieur : « Tout va bien, sauf mon taxi qui devient mou. Je compte en demander un autre mais j’attendrai le moteur renforcé. » En attendant, les victoires s’amoncellent. La tête de turc du capitaine Brocard a désormais gagné sa place au sein des Cigognes. Avec Heurtaux, Deullin et de la Tour, Georges forme la « bande noire », reconnaissable à la cigogne peinte sur le fuselage des avions. Les pilotes allemands apprennent à redouter ce carré d’as acharnés. À bord de son « vieux Charles », le frêle Guynemer se métamorphose en rapace et adopte la même stratégie : il vole très haut dans le ciel, se place dans le soleil et guette sa proie. Puis, il fond sur elle et la tire à bout portant, au risque de la percuter.

À la fin de l’année 1916, il affiche les galons de lieutenant et totalise 25 victoires. Il n’est pas pour autant invincible. Abattu plusieurs fois, indemne ou blessé, toujours impatient, il repart au combat avec la même témérité. Guynemer, qui craint de se voir muter à un poste d’instructeur, redouble d’audace. Il est promu au grade de capitaine le 18 février 1917. La mort de son ami, René Dorme, abattu au cours d’un vol en patrouille avec Albert Deullin, l’affecte profondément. Dopé par la douleur, il repart le jour même au combat. « A accompli le 25 mai 1917, un de ses plus brillants exploits en abattant en une seule minute deux avions ennemis et en remportant dans la même journée deux nouvelles victoires. Par tous ces exploits, contribue à exalter le courage et l’enthousiasme de ceux qui, dans les tranchées, sont les témoins de ses triomphes. 45 avions abattus, 20 citations », indique la citation accompagnant la rosette qui lui est remise le 11 juin. Guynemer est élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur. Peu de temps après, l’as des Cigognes reçoit enfin le nouvel avion qu’il a mis au point avec Béchereau. C’est un Spad XII doté d’un canon Hotchkiss de 37 mm, équipé d’un moteur Hispano et d’une hélice conçue par un certain Marcel Bloc qui prendra plus tard le nom de Dassault.

Et les citations s’accumulent ; les victoires aussi. Il en totalise 53 le 20 août. Des ennuis mécaniques l’empêchent de voler jusqu’au 10 septembre. Ce jour-là, il s’envole, attaque, redescend et repart à trois reprises à la recherche de sa proie introuvable. Il revient, l’œil farouche, le teint livide et épuisé car il a dépassé ses limites. Des problèmes de santé, une fois encore… Malgré tout, le lendemain, il décolle à bord d’un Spad qui le porte vers Poelkapelle, dans les Flandres. C’est là, en terre belge, sous la forme d’un Albatros allemand, que la mort guette la Cigogne française.

Héroïque, il est parti mais le héros n’est pas revenu. Georges Guynemer, « l’ange de la mort » appartient désormais à la légende de la future armée de l’air. Il n’avait pas encore 23 ans.
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