LES TRAVERS D’UNE TRAVERSEE

Par : Corinne MICELLI

Fonck et Sikorsky admirent le S-35
Crédit photo : S.D.

[…] Le 4 septembre, Fonck emporte une masse de 12,5 tonnes, proche de celle prévue pour la mission. Enfin, du 8 au 10 septembre, le S-35 embarque une quinzaine de passagers entre New York et Washington. Un vol au profit du Bureau of Aeronautics (BuAer) met un terme à la période d’essais. Le Commander Richardson du BuAer en personne est aux commandes. L’avion est prêt, ses essais jugés concluants et il est baptisé New York-Paris, le 10 septembre, à l’eau minérale - prohibition oblige - par le nouveau maire de New York, James « Jimmy » Walker. La machine resplendit dans sa livrée vert clair, crème et blanc. Elle arbore sur ses flancs non seulement les drapeaux américains et français mais aussi la célèbre cigogne de Fonck de la SPA 103. Ces essais ont impliqué quelques modifications sur l’appareil initial. Un train d’atterrissage à quatre roues, largable, a été ajouté sous le fuselage afin de soulager la pression au sol. La béquille de queue est renforcée par une double roulette. On installe des réservoirs de carburant supplémentaires, disposés dans le prolongement des fuseaux moteur. Au final, les dix pilotes qui ont tenu les commandes du biplan trimoteur de Sikorsky sont favorablement impressionnés. Alors que tout est prêt pour tenter l’aventure, un nuage vient ternir le ciel, jusqu’alors d’un bleu d’azur : le navigateur Snody, terrassé par une bronchite aiguë, est obligé d’abandonner le projet. Fonck demande son remplacement à la Navy. Une vingtaine de prétendants se présentent spontanément. Le Lieutenant William L. Curtin sera sélectionné le 14 septembre, à l’issue d’une mise à l’épreuve.

Curtin et Fonck décollent et volent depuis un certain temps en zig-zag au-dessus de l’Atlantique quand brusquement, Fonck le questionne : « Où sommes-nous ? » Loin de perdre ses moyens, Curtin effectue deux points avec le sextant gyroscopique à 3 000 et 30 mètres d’altitude et calcule la route de retour. L’avion revient exactement à son point de départ. Fonck est rassuré, le candidat a brillamment bravé l’obstacle !

Le 16 septembre, une autre tentative avorte, à cause d’une fuite de carburant au remplissage. Le lendemain, le temps est détestable. Équipage, commanditaires, public, journalistes et personnalités s’impatientent. La presse new-yorkaise, relayée par les médias internationaux, n’en finit plus d’évoquer des départs imminents. Les modistes ont même dessiné un couvre-chef baptisé The Fonck chapeau que les « beauties » arborent avec fierté en l’honneur du futur exploit. Le 21 septembre, Fonck reçoit une dépêche provenant du commandant Weiss : « Départ nécessaire, même si tu dois rester dans la flotte ! » En clair, cela signifie : « Pars ou crève ! ». François Moyen, du journal Volonté, ignore comment Fonck a pris la chose et précise : « Si j’étais à sa place, je la céderais volontiers, cette place, au commandant Weiss, ce frère cornélien et spartiate ! » Le commandant a d’ailleurs commenté devant un reporter, le texte d’un message très court. « Il faut, a-t-il déclaré, que Fonck revienne mort ou victorieux. Nos cœurs sont tendus vers lui. Et tant pis s’il périt en mer ! » Le même jour, Emmanuel Bourcier de l’Œuvre émet de sérieux doutes sur la faisabilité d’un tel raid. « Fonck est Fonck : un as, écrit-il. Mais son raid paraît préparé bien hâtivement, si l’on songe aux trente mois qu’à mis Tarascon à préparer le sien, aux six mois de préparatifs qu’il a fallu à Pelletier-Doisy avant de risquer Paris-Tokyo, et aux travaux de tous genres, cartographiques, météorologiques, etc., qu’exige la préparation actuelle de Paris-Madagascar. Puis, que d’étrangetés autour de lui ! Il est prêt. Il va partir. Brusquement, le pilote américain qui doit l’accompagner tombe malade et disparaît. Brusquement, on télégraphie au lieutenant Curtin, qui se trouve à Washington, à 450 kilomètres de là : « Venez demain matin traverser l’Atlantique ! ». Est-ce tout ? Non. On prétend maintenant que l’engagement de Fonck avec les Argonauts se termine le 22 septembre, et l’on apprend que l’un de ceux-ci, Monsieur Jackson, venu spécialement en France pour recevoir l’aviateur, a quitté Paris le 10 septembre et est reparti pour New York ! Que peut faire Fonck, s’il répond au commandant Weiss, son intime ami, par un envol désespéré ? Il peut gagner Terre-Neuve et l’Irlande, ce qui a déjà été fait en 1919, par les Anglais Alcock et Brown, atterrir, puis venir de la pointe d’Irlande au Bourget. Il n’aura pas franchi, au sens propre du mot l’Atlantique et n’aura même pas atteint les records de distance français. Mais, pour la foule, cela peut faire illusion. Étant donné son appareil et ses caractéristiques, c’est pourtant, semble-t-il, la seule chance qui lui reste. Nous serons bientôt fixés. » […]

Éléments sous droits d’auteur, Corinne Micelli

-

Galerie photo...
Le Sikorsky S-35

Profil de Patrice GAUBERT (Sous Copyright)