LA FIN DE MADON, PAR JACQUES MORTANE

Par : H.B.

Dans son édition du 13 novembre 1924, le "Petit Journal" présenta ainsi le fait divers et la nécrologie de G.Madon sous le titre suivant : "Comment se tua le grand as Madon aux 41 victoires", (1) sous une signature fameuse :

" Nous avons relaté hier le dramatique accident survenu mardi à Bizerte, qui coûta la vie au grand as Georges Madon, au cours de l’inauguration du monument élevé à la mémoire de Roland Garros. pour commémorer la première traversée de la Méditerranée en avion réalisée par le regretté héros en 1913. La grande vedette du meeting était Georges Madon.

Au cours d’une angoissante série de vols de haute école, à 10h du matin, le capitaine fit un looping qu’il ne termina pas.

Une panne de moteur survint. Pour ne pas s’écrouler sur la foule massée autour du monument, Madon réussit à aller tomber sur une terrasse distante de quinze mètres du groupe officiel. Le malheureux préféra sacrifier sa vie pour épargner celle des autres, mourant comme il avait vécu, héroïquement. On le trouva écrasé entre la carlingue et le moteur de son appareil.

Ainsi que nous l’avons dit, il ne fut pas la seule victime. Sur la terrasse se trouvait le docteur Aragon, qui fut tué.

LA CARRIERE GLORIEUSE DE LA VICTIME

Le capitaine Georges Madon était célèbre, tous le connaissaient. Mais les lecteurs du Petit Journal, étaient entrés dans son intimité, car le troisième as de la guerre leur avait raconté, dans ces colonnes, ses héroïques aventures.

Simple caporal en août 1914, Madon était, le 11 novembre 1918, capitaine, chef d’escadrille, médaillé militaire, officier de la Légion d’Honneur, vingt fois cité, sans compter de nombreuses décorations étrangères. Ce bagage honorifique donne une idée du fameux combattant.

Il occupait la 3e place sur le palmarès des as français, derrière le capitaine Fonck (75 victoires) et Nungesser (43 victoires). Il s’était attribué 41 succès officiels, 105 en réalité, et précédait le lieutenant-abbé Bourjade, dont nous annoncions la mort la semaine dernière comme missionnaire en Nouvelle-Guinée.

Georges Madon avait commencé par faire du réglage d’artillerie. Il fut l’un des premiers à accomplir des bombardements de nuit. Il fut capturé par les Suisses et réussit à s’évader après une première tentative infructueuse. Son évasion fut un exploit vraiment rocambolesque, où son énergie et sa présence d’esprit lui permirent de réaliser ce qu’il commençait à croire impossible, car il était bien gardé !

Il demanda à retourner aussitôt au front comme chasseur. Au cours de ses multiples combats, jamais il ne reçut la moindre balle dans son appareil. Ce qui ne veut pas dire d’ailleurs qu’il n’ait pas eu de "coups durs".

Un jour, une panne de moteur l’oblige à atterrir en territoire ennemi. Il y reste plusieurs minutes pour réparer et parvient à s’envoler juste au moment où les fantassins allemands surgissent pour le capturer. Pour se venger de cette intervention indiscrète, Madon mitraille la troupe en rasant les têtes.

Un autre fois, à 6.000 mètres d’altitude, en attaquant un avion, il le heurte et le coupe en deux. Oui, mais le Français n’est pas indemne : il a un plan complètement enlevé. C’est la mort sans aucun doute ! L’as rentre dans nos lignes et réussit à se poser... en ne se cassant qu’un doigt. Ce fut l’une des aventures les plus poignantes de la guerre aérienne.

Et combien d’autres rencontres tragiques : c’est la cervelle d’une victime -non homologuée d’ailleurs- qui s’étale sur son hélice, ce sont des gouttes de sang vaporisées sur les ailes, c’est une paire de lunettes ramenée dans ses haubans.

Ce sont enfin la victoire sur l’un des plus grands as ennemis, le lieutenant Wolff aux 33 victoires, les blessures infligées au Lothar von Richthofen, frère de l’as des as, titulaire lui-même de 40 succès, les défis aux champions ennemis, les conversations vengeresses avec les victimes descendues indemnes dans nos lignes.

Après la guerre, Georges Madon fut envoyé en mission par le gouvernement pour montrer aux Etats-Unis la valeur de nos as. Il rentra en France, dirigea un garage d’automobiles, puis se laissa entrainer dans la fâcheuses aventure du soi-disant tour du monde d’une escadrille...qui ne partit jamais au complet et dont les meilleurs purent à peine atteindre la Tunisie. C’est en cherchant Georges Madon, que l’on croyait tombé à la mer, que l’infortuné Picard fit une terrible chute qui le défigura.

Georges Madon n’était pas revenu en France. Il était resté à Bizerte, où il était né le 28 juillet 1892. Et c’est là que le pauvre grand conquérant de 32 ans vient de se tuer, en fêtant la plus pure figure de l’aviation, Garros, et l’anniversaire de l’armistice.

La fatalité a de ces caprices qui sont de la cruauté ".


Jacques MORTANE





(1) Archives de l’association "Mémoire de René Fonck"

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