FONCK, SELON H. COUTAU-BEGARIE

Par : Seb

Le 24 février s’éteignait le professeur Hervé Coutau-Bégarie, écrivain, historien et stratégiste militaire en renom en France et à l’étranger. Né en 1956 à Angers, celui-ci avait mené des études approfondies, couronnées un doctorat d’Etat en sciences politiques, une bibliographie très dense et une quantité très importante de publications diverses, parfois en collaboration.
Chevalier de la Légion d’Honneur, fondateur de l’Institut de Stratégie Comparée & des Conflits, président de la Commission française d’histoire militaire, directeur de recherches au Collège Intearmées de Défense, professeur au Cours supérieur d’Etat-major et à l’ICES, Hervé Coutau-Bégarie devait à son savoir et ses analyses d’être tant sollicité en conférences.

Directeur d’études à l’Ecole pratique des Hautes-Etudes, il était l’auteur de 21 publications éditées de 1983 à 2007 chez Perrin, Fayard et surtout Economica, où il dirigeait quatre collections. A ce co-directeur de la Bibliothèque Stratégique, on doit quantité de préfaces et post-faces, de colloques, conférences, débats médiatisés, etc. Un auteur fécond, un penseur de référence en matière de stratégie. C’est en la chapelle de l’Ecole Militaire à Paris qu’eurent leu le 1er mars ses obsèques d’un caractère sans précédent pour un civil, puisqu’y prirent part les plus hautes autorités des trois Armes et nombre d’officiers supérieurs français et étrangers.
On considère que l’ensemble des officiers supérieurs des armes françaises en activité à son décès furent élèves du défunt.

Paradoxalement, ce capitaine de frégate de réserve fit une exception inattendue dans son oeuvre de stratège naval par la mémoire d’un aviateur en lui consacrant la place d’honneur parmi les As alliés de l’aviation de la Grande Guerre. En effet, il préfaça la biographie de l’ouvrage écrit par Corinne Micelli et Bernard Palmieri "René Fonck, l’As des as, l’homme" (1).

En son souvenir, nous en avons extrait le passage suivant :

"La popularité des as a été inouïe : Richthofen en Allemagne, Mannock en Grande-Bretagne, Guynemer en France, Coppens de Houthulst en Belgique..., étaient des héros dont tous les enfants reconnaissaient les faits d’armes. Leurs exploits se mesuraient à leurs croix de guerre à rallonge, jusqu’aux 28 palmes et 2 étoiles de Nungesser (...). La France n’a pas manqué d’as. C’est elle qui a ouvert l’ère du combat aérien avec la victoire du sergent pilote Frantz et du soldat mécanicien Quénault à la fin de 1914.

Dès 1915, les premiers as sont apparus : Jean Navarre, la sentinelle de Verdun ; Charles Nungesser, tempérament indiscipliné et fantasque, souvent abattu, revolant aussitôt malgré ses multiples blessures...Il y a eu ensuite beaucoup d’autres, de Georges Madon, que les Allemands appelaient "Le Diable" au "Père Dorme", c’était son surnom. Il y a eu un vrai religieux, Léon Bourjade, crédité de 28 victoires. Il était père blanc et la légende raconte qu’il donnait volontiers l’absolution à sa victime. Pure invention, car s’il était déjà entré dans les ordres, il ne sera ordonné prêtre qu’après la guerre.

Un total réel plus élevé

Aucun n’a atteint la gloire immaculée de Georges Guynemer qui s’est imposé en 1917 comme l’as des as avec 54 victoires. Tout a concouru à façonner sa légende : son extrême jeunesse, sa fragilité physique, sa chance extraordinaire (il engageait le combat au plus près), sa liaison avec Yvonne Printemps qui l’a initié à des duels d’un autre ordre et, finalement, sa disparition en pleine gloire dans des circonstances jamais définitivement éclaircies (abattu par la D.C.A. ou par l’aviateur Wissermann ?).

Tout de suite, les écrivains se sont emparés de lui, Henry Bordeaux en premier lieu, ce qui n’était pas rien. Aujourd’hui encore, il reste la référence suprême des chasseurs et, le jour de sa mort, la même cérémonie à sa mémoire se répète chaque année sur toutes les bases aériennes françaises.

A côté de la gloire de Guynemer, René Fonck fait pâle figure, malgré les 75 victoires qui en font indiscutablement l’as des as français et alliés de la Grande Guerre et même des deux guerres. Il n’est plus connu que des fanatiques de l’aviation. Les raisons qui expliquent cet oubli relatif sont multiples. Il n’est pas l’as des as de la Grande Guerre, puisque von Richthofen le dépasse avec ses 80 victoires, dont il importe de souligner qu’elles ont été vérifiées par les historiens, il ne s’agit pas d’un compte fictif. Il est arrivé trop tard, son palmarès s’envolant en 1918, lorsque la guerre aérienne est, à son tour, entrée dans l’ère industrielle. Il n’avait pas le côté flamboyant de Nungesser, ni la pureté désincarnée de Guynemer : il était un pur technicien, qui devait ses victoires à un don prodigieux de tireur et à la multiplications de ses cibles ennemies. Sa vie privée n’avait rien qui pût faire rêver : il n’a pas connu Yvonne Printemps.

Enfin, il y a l’après-guerre : il a survécu assez longtemps pour être encore là lors de la Seconde Guerre mondiale et y jouer un rôle ambigu à Vichy. Cela lui a valu d’être quelque peu inquiété à la Libération. Aujourd’hui encore, son nom est prononcé avec prudence, au point qu’aucune promotion d’officiers ne le porte.

La présente biographie fait revivre une figure qui mérite, malgré tout, d’être connue et reconnue. Soixante-quinze victoires, c’est beaucoup et il est possible que le total réel soit encore plus élevé, puisque lui-même en revendiquait 127 et qu’il n’appartient pas à la catégorie des affabulateurs. D. Pourret recense au moins deux victoires non homologuées mais certaines, les victimes étant connues. Seule une recherche systématique dans les archives allemandes pourrait apporter des éléments nouveaux, mais beaucoup de documents ont été perdus.

Il était un merveilleux tireur, mais aussi un tacticien qui a su comprendre que l’ère héroïque des premiers chevaliers du ciel était en train de s’achever, qu’il fallait désormais mettre en oeuvre une véritable tactique. Cette faculté d’adaptation est assez rare pour être soulignée.


Désintéressé

Surtout, cette biographie a l’immense mérite d’essayer de restituer toute une vie et pas seulement l’épopée de quelques mois qui l’a fait entrer dans l’histoire. Après guerre, il a eu la destinée "normale" d’un héros de légende : son nom lui a permis facilement de devenir député. Il a tenté la traversée de l’Atlantique après Nungesser et avant Lindbergh : la réussite lui eût définitivement assuré une place dans la mémoire collective, mais il a échoué ; au moins en est-il sorti vivant. Il a signé (à défaut de l’écrire) un livre sur l’aviation militaire française qui n’est pas dépourvu de lucidité et qui se tient honorablement dans la littérature aérienne de l’entre-deux-guerres.

Il a noué des liens, en vertu de la traditionnelle fraternité d’armes, avec les anciens combattants de l’autre bord, notamment avec Ernst Udet, le plus "titré" des As allemands et avec le successeur de Manfred von Richthofen, un certain Hermann Goering. Lorsque celui-ci est devenu le deuxième personnage du troisième Reich, Fonck a essayé de jouer de cette relation au service de la France.

Ses sentiments antiallemands n’avaient pas varié, mais, au lendemain de la défaite, il s’est spontanément rangé sous la bannière de maréchal Pétain, comme la quasi-totalité des combattants de la Grande Guerre. Le maréchal l’a utilisé au service de sa diplomatie personnelle : cela lui a valu quelques inimitiés. Il a été pris dans des intrigues auxquelles il n’était nullement préparé. L’amiral Darlan, dans ses notes personnelles, parle du "louche personnage qu’est le colonel Fonck". Mais il n’a pas cherché à jouer un rôle personnel, son action a été largement désintéressée. Ce livre fait justice des accusations et surtout des suspicions à son encontre : Fonck n’a jamais été un "collabo".

Les auteurs font revivre un homme qui fut un authentique as de l’aviation et un Français dont toute l’action fut d’abord guidée par un indiscutable patriotisme".


(1) Economica - 2007 ( Epuisé)

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