FONCK-GOERING : Version CARBUCCIA

Par : H.B.

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Hermann Göring et son Fokker D.VII.

Dans quelles conditions, René Fonck rencontra-t-il pour la première fois Hermann Goering, dont il n’ignorait évidemment pas le nom dans le camp adverse ? Voici un témoignage, sans doute romancé, écrit par Adry de Carbuccia, épouse de Horace de Carbuccia, fondateur de « Gringoire » et éditeur en vue, pro-Pétain. Productrice de cinéma à succès et jolie femme, Adry (1900-94) tint avenue Foch à Paris un salon avant et après-guerre et où se pressa le Tout-Paris.

Voici un extrait daté de son livre, où elle évoque une visite nocturne de l’aviateur (1).

« Une nuit de 1938 , je lisais dans mon lit, en essayant d’oublier les soucis du jour. Un violent coup de sonnette me fit sursauter ; la pendulette marquait deux heures. J’enfilai, en hâte, une robe de chambre, me dirigeai rapidement vers la porte d’entrée : « Qui est là ? » - « Le colonel Fonck »

Fonck ! As des as de la Grande Guerre. Simple soldat au début du conflit, officier à 25 ans, décoré de la Médaille militaire, de la Légion d’Honneur, titulaire de 23 citations, détenteur de 75 victoires homologuées sur 125 probables (2), et maintenant colonel.

Ses yeux perçants, auxquels rien n’échappait, ressemblaient à ceux d’un oiseau de proie : « Il faut d’urgence que je parle à votre mari ». Je réveillai Horace. Tout ensommeillé, il pénétra dans le salon. Il fut tenu durant cette scène tant de propos prémonitoires que je la revois comme si elle datait d’hier : Horace en pyjama blanc, moi en robe de chambre, assise sur un petit canapé. Fonck sur une chaise, en face de nous, ses yeux lançant des éclairs.

Sur notre muette interrogation, l’as des as s’expliqua : « Je reviens d’Allemagne, d’une chasse chez Goering ». Ses relations avec le Maréchal de l’Air remontaient loin : « Après la guerre de 1914, me trouvant en Suède pour conclure un accord commercial avec une compagnie aérienne, un matin où je prenais tranquillement mon petit déjeuner, le concierge m’appela au téléphone pour m’apprendre : le commandant Goering désirait me voir et m’attendait dans le hall ».

Surprise de Fonck ; il n’avait recherché Goering que le doigt sur le détente de mitrailleuse, car le héros de l’escadrille des Cigognes et le successeur du baron de Richthofen à la tête de la célèbre escadrille le Cirque Rouge s’étaient mis en tête de s’offrir un duel d’aigles. Maintenant ils étaient face à face en complet veston.

Goering tendit la main, Fonck la prit : « Pendant la guerre, nous avons été de loyaux adversaires. Aujourd’hui, je viens faire appel à la solidarité d’un pilote comme moi. Je suis sans fortune, sans situation, mon pays est ruiné, je n’ai pas d’amis en Suède, je sollicite une place de pilote de ligne auprès de la ligne X….avec qui, je le sais, vous êtes en bons termes…c’est ma dernière chance ».

Grâce à Fonck, Goering obtint un engagement, qui lui permit d’épouser une comtesse et lui donna le temps d’apprendre l’économie politique. Son sang-froid lors du putsch de Munich lui valut les plus grands honneurs, outre le titre de dauphin d’Hitler. Le maréchal n’oublia pas le service rendu. Il invitait régulièrement Fonck à ses chasses.

Cette année-ci, les principaux généraux de l’aviation du Reich s’y trouvaient. La chasse avait été bonne, nos militaires, l’appétit aiguisé par cette journée de grand air, firent honneur au somptueux dîner, les vins du Rhin coulaient à flots, l’humeur était joyeuse. Après le café, les liqueurs demanda une minute de silence pour déguster une « Fine Napoléon » d’une grande année. Attendris par l’image de l’empereur des Français et plus encore par le cognac portant son nom, ces messieurs, sous l’effet de trop larges libations, se mirent à plaindre Fonck : Pauvres Français, qu’est-ce que vous foutez pendant que nous nous armons ! ».

Le Français protesta, pour le convaincre, les convives, de plus en plus surexcités, citèrent des chiffres impressionnants de tanks, d’avions fabriqués en Allemagne chaque mois, qui laissèrent Fonck pantois. Il ne put s’empêcher de déclarer : « Vous essayez de me bluffer ».

Vexé par cette remarque, Goering décida, malgré l’heure, d’emmener Fonck visiter les usines de la région. Une dernière tournée de « Fine Napoléon » avait porté au paroxysme l’ardeur belliqueuse des convives.

Suivi de ses généraux, le maréchal fit parcourir à Fonck plusieurs complexes d’armements. Les veilleurs de nuit, dans la pénombre semblaient des fourriers de l’enfer. Le nombre impressionnant de chars, d’appareils de chasse et de bombardement qu’il aperçut, lui serra le cœur. Goering ne bluffait pas.

VAINE SUPPLIQUE

Au milieu de cette cohorte de généraux allemands chamarrés, exultant, Fonck regardait atterré, ces engins de mort destinés à détruire son pays. : « Dès mon retour, reprit-il, j’estimai de mon devoir d’informer Daladier. N’était-il pas à la fois président du Conseil et ministre de la Guerre ? Il me reçut dans son bureau, étendu sur une chaise longue, car sa jambe, plâtrée à la suite d’une chute de cheval, ne lui permettait pas de s’asseoir. Je lui rapportai les propos de Goering, ma visite dans les usines.

Les Allemands possédaient assez d’avions pour mettre rapidement hors de combat l’armée française et détruire Paris. Il faut, en tout cas, fabriquer des avions de chasse, des escadrilles spécialement destinées à mitrailler les formations allemandes ; nous n’avons plus le temps de mettre en chantier des appareils lourds. Je lui proposai d’organiser des unités, de faire suivre à leurs pilotes un entrainement intensif, j’étais prêt à y consacrer tout mon temps, toute mon énergie. J’eus beau accumuler les arguments, le supplier, il ne m’écoutait plus et mit fin à mon audience en ces termes « Oh ! mon petit, on exagère toujours !! ».

Fonck connaissait la vigilance d’Horace en matière de défense ; Gringoire avait notamment salué la parution d’un ouvrage du colonel de Gaulle attirant l’attention de la France sur la nécessité de doter la France de moyens offensifs : « Carbuccia, il faut d’urgence que vous fassiez faire un article, que vous alertiez l’opinion ».

Dès le lendemain, Horace s’y employa. Le 13 mars 1938, Hitler entra triomphalement à Vienne. C’est l’Anschluss !

En Tchécoslovaquie, le parti des Sudètes, qui se réclame de l’idéologie allemande, obtient aux élections 85% des voix. L’appellation Sudète a désigné, après 1919, la population de langue allemande installée sur le pourtour de la Bohême. En 1919, cette minorité – un quart environ de la population tchécoslovaque – demande en vain le rattachement de son territoire à l’Allemagne.

En mai, Hitler donne l’ordre de construire des ouvrages fortifiés en bordure du Rhin et notre ambassadeur à Berlin, François-Poncet, rend compte au Quai d’Orsay : le Führer envisage d’attaquer la Tchécoslovaquie fin septembre ».

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(1) « Du tango à Lily Marlène 1900-1940 » - France-Empire, déc. 1987.

(2) 52 et non 125.

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