UN DEPART DE FONCK - René CHAMBE

Par : H.B.

Connu pour un apport écrit exceptionnel (23 livres) à l’histoire de l’aviation, René Chambe (1889-1983) est un nom de la littérature aéronautique qui a fait autorité et reste de référence à plusieurs titres.

Engagé en 1907, il fit une longue carrière comprenant les deux plus grands conflits de son siècle. Il l’avait commencée en abattant, à bord d’un Morane –Saulnier type L (« parasol ») son premier avion allemand le 2 avril 1915, comme passager de Pelletier d’Oisy, autre nom connu. A leur retour, ils furent faits chevaliers de la Légion d’Honneur par le général Franchet d’Esperey.

Pilote à son tour en 1916, Chambe fut disciple du fameux commandant Tricornot de Rose, père de la chasse. Il traversa moult aventures et mésaventures loin de France, dont témoignent ses écrits, comme « L’enfer du ciel », son premier titre couronné par l’Académie Française, et son « Histoire de l’aviation » (Flammarion).

Blessé en août 1917 en combat aérien, Chambe effectua une carrière exceptionnelle, achevée au grade de général de brigade. Relire sa biographie hors série est instructif !

Intitulé « Un départ de Fonck », le paragraphe suivant brosse le portrait du Fonck qu’il a connu et y associe ses deux plus émérites mécaniciens, dont R. Chambe sut la minutie au travail de vérification de l’appareil du « patron », avant et aussi après ses atterrissages : « L’appareil de Fonck est déjà sorti, prêt à prendre l’air. C’est un SPAD XIII, à moteur Hispano de 220 CV. Avec deux mitrailleuses Vickers synchronisées, tirant à travers l’hélice. C’est avec ce type d’avion que Fonck a remporté la plupart de ses victoires, sauf celles de ses tout premiers débuts.

« Les deux mécaniciens sont là, le caporal Delmas, et le soldat de 1ère classe Poirier, fidèles, dévoués, enivrés, exaltés de servir un pareil chef.

Comme toujours, ils ont tout vu, tout regardé, tout vérifié. Quand il le faut, ils passent des nuits entières à travailler sans arrêt, à mettre au point le moteur, l’armement, à régler les plus petits détails. L’avion de Fonck ? Ils ne donneraient pas leur place pour des étoiles ! Les victoires de Fonck sont aussi leurs victoires ! Ils en sont comme éclaboussés de lumière.

« UN BLOC ERRATIQUE »

« Poirier a préparé les effets de vol. Fonck est debout dans sa tenue bleu-horizon, coiffé de son képi de lieutenant, chaussé de hautes bottes lacées. Il ne porte aucun galon sur les manches, ni aucun insigne de son grade. Et, sur lui, il n’a aucun papier, aucune pièce d’identité. Quant à son képi avec ses deux galons, il le laisse toujours sur le terrain. Fonck pense à tout, prévoit tout. Il va souvent rechercher le combat, jusque dans les lignes allemandes. Si son tour d’être descendu doit venir un jour, il ne veut pas que l’ennemi ait la joie de sa mort en identifiant son cadavre. Il veut que, même disparu, il l’ignore et que même la menace de son nom plane toujours dans le ciel de France. Ses chefs, ses camarades, ses subordonnés, la presse elle-même, ne diront rien et tiendront secrète aussi longtemps que possible la fatale nouvelle.

« Si, au contraire, il est abattu vivant, il brûlera son avion et, prisonnier, donnera un faux nom. L’ennemi ne se doutera jamais que c’est lui. Non par crainte de représailles, Fonck sait que, malgré leurs erreurs, les Allemands s’y connaissent en courage et professent un grand respect de l’honneur militaire. Quelles que soient les pertes qu’il leur a infligées, ils seront pleins de déférence et de courtoisie à son égard. Trop peut-être…Les marques de leur admiration pourraient devenir gênantes et se traduire, pour dorées qu’elle soit, par une cage aux barreaux trop serrés. Et Fonck désire pourvoir reprendre son vol. Mieux vaut demeurer inconnu et se laisser mêler à la foule anonyme des autres prisonniers.

« Poirier lui tend un par un ses effets. Fonck a endossé sa combinaison de cuir doublée de fourrure. Il est de taille plutôt petit, robuste, les épaules larges. Tête nue, ses cheveux d’un blond doré rejetés en arrière, il tourne vers l’horizon, où glissent des bancs de brume, un visage interrogateur, rose et frais, d’une étonnante jeunesse. Il n’a que vingt-trois ans ! Sous l’arc épais des sourcils , les paupières sont lourdes, presque toujours à moitié baissées, mais laissent filtrer, comme une mince lame, l’éclair d’un regard coupant, chargé d’audace et d’implacable volonté.

« Fonck a coiffé son casque, il est prêt. Vêtu de cuir des pieds à la tête, Debout dans l’herbe verte, solide, râblé, il donne une singulière impression d’énergie et de force, il a l’air d’un bloc erratique, d’un rocher taillé dans le rouge granit de ses Vosges natales ».

Extraits de "Dans l’Enfer du ciel" - René CHAMBE

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